Pourquoi les reflets dans l’eau nous captivent autant
(ou : le reflet de l’eau comme stratégie visuelle)
J’aurais pu me contenter de la poster pour sa beauté — elle avait tout : lumière, reflets, douceur. Cette image de la surface de l’eau, où le soleil se reflète.
Mais au lieu de la classer dans la catégorie “jolie image”, je me suis arrêtée dessus un peu plus longtemps.
Parce qu’on les voit partout, ces images d’eau.
Chaque été, elles infusent nos feeds : surface miroitante, vague au ralenti, rayon doré sur la peau.
Et si elles revenaient, ce n’était peut-être pas (que) pour des raisons esthétiques.
L’eau n’est pas figurée, mais elle est partout racontée
Contrairement aux animaux ou au feu, l’eau n’apparaît pas dans les représentations préhistoriques.
Trop mouvante, trop insaisissable — elle échappe au trait, au contour, à la gravure.
Mais elle est déjà là, en creux : dans les grottes humides, dans les sources sacrées, dans les lieux de passage.
Et surtout, elle traverse les récits fondateurs.
Dans les mythes, l’eau n’est jamais un simple décor.
Elle est surface de révélation (Narcisse figé dans son reflet),
frontière invisible (le Léthé, fleuve de l’oubli),
ou portail vers un ailleurs (les miroirs liquides des contes celtiques ou asiatiques).
Regarder un reflet, ce n’est pas regarder la surface.
C’est scruter une limite floue — entre soi et autre chose.
Une esthétique du flou assumée
Dans une époque saturée d’images nettes, droites, frontales, le reflet propose une autre façon de voir.
C’est une image instable, qui ne dit pas tout, et c’est là toute sa force.
Et c’est peut-être pour ça qu’elle revient dans tant de campagnes de parfum.
Le parfum a besoin d’images — et l’eau sait les fabriquer
Le parfum ne se montre pas. Il suggère, évoque.
Pour le représenter, il faut une image qui fonctionne comme lui :
→ Floue,
→ sensorielle,
→ un peu hors du temps.
C’est exactement ce que permet l’eau.
Chez Gucci, Chanel, Byredo ou Lacroix, le flacon repose dans l’eau, baigne dans la lumière, flotte dans une matière incertaine.
Ce n’est pas un décor, c’est une métaphore sensorielle.
L’eau devient filtre, révélateur, promesse.
Ce que vous allez sentir sera aussi frais, aussi insaisissable, aussi lumineux que cette image-là.
Bachelard, encore et toujours
Dans L’eau et les rêves, Gaston Bachelard écrit :
« C'est près de l'eau que j'ai le mieux compris que la rêverie est un univers en émanation, un souffle odorant qui sort des choses par l'intermédiaire d'un rêveur. »
L’eau, chez lui, est une matière à rêverie.
Elle dissout les contours, elle fait remonter les souvenirs, elle permet une pensée flottante.
Exactement ce que produit, peut-être, une bonne campagne de parfum.