Fumer sans (forcément) fumer : la résurgence des “cig trays”
Fumer en plateau : un objet signifiant
Un objet revient dans les soirées et les mariages les plus en vue : le cig tray, ou plateau à cigarettes.
Détail anodin ? En réalité, il condense tout un imaginaire visuel : entre nostalgie mondaine, luxe ostentatoire et esthétisation de la transgression.
Un simple plateau devient un véritable signe : un clin d’œil aux rites sociaux d’hier, revisités à la lumière des codes de l’esthétique contemporaine.
Un retour en plateau : la cigarette comme offrande
Tout a (re)commencé, ou du moins explosé visuellement, avec l’anniversaire de Carine Roitfeld, en septembre 2024. Un cig tray chic et débordant, photographié sous tous les angles et massivement partagé sur Instagram.
Depuis, d’autres images ont circulé :
Le mariage de Charli XCX, où la clope trônait au centre des festivités comme une pièce maîtresse.
L’anniversaire de Rosalía, avec ses présentations sur plateaux à étages façon pâtisserie, comme une pièce montée dédiée au vice.
Des mariages plus confidentiels, repérés dans The Wed (le média de référence du mariage branché), où les allumettes sont personnalisées aux noms des mariés, et les cigarettes sur des élégants plateaux de métal.
Ma propre communauté m’a aussi partagé des scènes similaires, observées dans des vernissages ou soirées d’art contemporain, où le plateau de cigarettes circule comme une offrande collective.
On est loin du cendrier : ici, la cigarette est mise en scène, théâtralisée, presque sacrée.
Le plateau évoque autant la corne d’abondance que la nature morte gourmande : comme une coupe de fruits trop mûrs, une montagne de frites servies sur argent, ou une fontaine de champagne.
Ce n’est pas une pause clope. C’est un moment de lâcher-prise luxuriant, un rite de passage, une invitation à l’excès.
Esthétique de l'excès, rituel de distinction
Pourquoi ce retour d’un objet qu’on pensait disparu ?
Sans doute parce qu’il prend racine dans une ambivalence contemporaine : on aspire à la santé, au contrôle, à la clean girl aesthetic… tout en rêvant parfois d’en sortir.
Le cig tray devient alors un objet de distinction.
Pas forcément pour fumer, mais pour signifier un entre-soi, une ambiance débridée, une fête qui s’affiche comme “non sage”.
Ce n’est plus un outil fonctionnel, c’est un accessoire de style. Une signature visuelle à part entière.
Sur Instagram, des stories relayées par des profils comme @mv.tiangue ou @samiakanaan montrent des soirées où le plateau de cigarettes circule au même titre qu’un tiramisu ou un bouquet de fleurs.
Une esthétique virale, presque secrète, réservée aux initiés — et qui se partage de main en main, comme un mot de passe.
Héritages : des cigarette girls aux rituels mondains
Ce cig tray contemporain n’est pas né de nulle part. Il s’inscrit dans une longue histoire culturelle : celle des cigarette girls, apparues dans les années 1920–1950, notamment aux États-Unis.
Dans les clubs de jazz, les cabarets ou les casinos, ces jeunes femmes portaient des plateaux suspendus à leur cou, remplis de cigarettes, d’allumettes ou de cigares.
Leur rôle ? Distribuer, séduire, animer la fête.
Elles incarnaient une figure glamour, mais aussi genrée, souvent sexualisée, et associée à une forme de service de luxe.
Aujourd’hui, les cigarettes ne sont plus à vendre — mais l’imaginaire, lui, persiste.
Le cig tray ne sert plus, il signifie.
Il ne passe plus dans les mains d’une hôtesse : il trône sur une table, il s’affiche dans une story, il pose dans une image.
Conclusion : objets de fête, signes d’époque
Le retour des cig trays dit beaucoup de notre époque :
On ne fume plus comme avant — mais on met en scène la cigarette comme jamais.
Pas (forcément) pour inciter à fumer.
Mais pour créer une atmosphère, pour invoquer un imaginaire, pour jouer avec les codes du luxe, du passé, du vice et du style.
Un plateau de cigarettes, aujourd’hui, c’est une déclaration visuelle.
Un objet parlant, entre nostalgie mondaine, esthétisme théâtral et douce provocation.